16 janvier, 2008

Erika

Petit regroupements d'articles en attendant le jugement du procès "Erika" qui sera aujourd'hui rendu. La décision la plus attendue est celle concernant un "préjudice écologique" qui donnera le point de vue de la Justice française sur la question du Pollueur-payeur.
Peut-être pourra-t-on espérer une réponse politique, législative et financière sur ce principe...




« Erika » : jugement dans sept mois, avec des enjeux juridiques et financiers exceptionnels

UN PRÉSIDENT la voix nouée par l'émotion prononçant une dernière fois « l'audience est levée », des prévenus faisant l'accolade aux avocats de la partie civile, les conseils de la défense saluant chaleureusement le procureur, les robes noires défilant pour serrer la main des membres du tribunal : le procès de l' Erika s'est achevé en effusions, mercredi 13 juin, devant le tribunal correctionnel de Paris.

Quatre mois à se chamailler sur les lisses de pont et les épaisseurs de tôle, à s'invectiver sur les plans d'urgence ou les chartes-parties, à se jeter au visage les expertises et les jurisprudences, à s'écharper à grands coups de « shipping », de « trading », de « mayday » et autres anglicismes ont fini par créer des liens entre les acteurs. Le président Jean-Baptiste Parlos a rappelé « le caractère exceptionnel de ce procès », lourd navire qu'il aura su mener d'abord avec autorité puis, tout risque de mutinerie écarté, avec bonhomie.

Exceptionnel, le jugement du tribunal, qui sera rendu le 16 janvier 2008, le sera également en raison de la nature du dossier : une catastrophe écologique. Les avocats n'ont pas manqué de rappeler aux magistrats que leur décision fera jurisprudence, et peut-être date, notamment en cas de reconnaissance d'un « préjudice écologique » qui n'est pas encore inscrit dans le droit français. Autant et peut-être plus que l'éventuelle condamnation pénale ou relaxe des prévenus, dont la société Total, l'enjeu du délibéré concerne les demandes civiles d'indemnisations exigées par les victimes et avoisinant le milliard d'euros. « Ce déplacement du centre de gravité du procès n'aura pas échappé au tribunal », a assuré le président Parlos.

Reste que quatre mois au long cours n'ont pas permis de trancher formellement sur les causes du naufrage du pétrolier, le 12 décembre 1999, au large de la Bretagne. Les 49 experts convoqués à la barre par les différentes parties, chacun présentant son explication, ont provoqué l'effet recherché : embrouiller les responsabilités. Les 160 volumes du dossier, truffés d'équations contradictoires sur la résistance des métaux, ne seront pas d'un plus grand secours.

La défense s'est engouffrée dans ce maquis de chiffres et d'hypothèses. Me Olivier Metzner, avocat de la Rina, la société de classification de l' Erika, a relevé l' « absence de certitudes », de « vérités techniques ». « Qu'a-t-on ? Une colère, c'est vrai, des Bretons et des professionnels qui ont vu leurs côtes souillées. Mais est-ce que cette colère induit une faute pénale ? » « Pourquoi l'Erika a coulé ? Sans certitudes, comment entrer en voie de condamnation ? a demandé Me Pierre-Olivier Sur, avocat de Giuseppe Savarese, l'armateur italien. On dit la rouille, la rouille, la rouille, comme, dans Le Malade imaginaire, on disait le poumon, le poumon, le poumon. Mais le navire bénéficiait de tous ses certificats. » « Rien n'est démontré en matière de causalité directe », a également souligné Me Vincent Asselineau, avocat d'Antonio Pollara, le gestionnaire du navire. Tous les prévenus ont demandé la relaxe.



Erika : les sanctions pénales requises présentées comme "dérisoires" au regard du préjudice écologique

Les procureurs ont réclamé lundi 4 juin 2007 des peines maximales à l'encontre de Total, du propriétaire et du gestionnaire du pétrolier "Erika". Soulignant le "décalage" entre la gravité des faits reprochés et leur sanction pénale, le ministère public a invité le tribunal à reconnaître le "préjudice écologique" sollicité par les parties civiles.



Avant de présenter leurs réquisitions, lundi 4 juin, les procureurs Marjorie Obadia et Laurent Michel se sont presque excusés de l'impuissance répressive du ministère public. Si "la réprobation sociale se mesure à la hauteur des peines prononcées", a souligné Mme Obadia, celles encourues par les prévenus au procès de l'Erika ne peuvent paraître que "dérisoires" au regard de l'ampleur de la catastrophe écologique qu'a représenté, en décembre 1999, le naufrage du pétrolier au large des côtes bretonnes.

L'enjeu de ces trois mois d'audience ne saurait donc se résumer aux peines demandées : pour le délit de "pollution par imprudence et négligence", 375 000 euros d'amende contre les sociétés du groupe Total et la société italienne de classification des navires, RINA; 75 000 euros d'amende contre l'armateur Giuseppe Savarese et le gestionnaire du navire Antonio Pollara, soit le maximum prévu par la loi au moment des faits, et 10 000 euros d'amende contre le capitaine indien Karun Mathur. Pour le délit de "mise en danger de la vie d'autrui" retenu contre MM. Savarese et Pollara, les procureurs ont requis un an d'emprisonnement avec sursis.

Ce "décalage" entre la gravité des faits reprochés et leur sanction pénale a conduit le ministère public à faire une incursion exceptionnelle hors de son champ de compétence, en invitant le tribunal à "faire œuvre de jurisprudence tant au pénal que sur l'action civile", c'est-à-dire à reconnaître pour la première fois le "préjudice écologique" sollicité par les parties civiles –les régions et les communes du littoral touchées par la pollution pétrolière –et évalué par elles à 1 milliard d'euros.

Mais la première étape de ce processus judiciaire est celle de la responsabilité pénale des prévenus, que se sont attachés à démontrer les deux procureurs. Il leur fallait pour cela remonter à "la cause essentielle" du naufrage qui, selon M. Michel, tient à "la corrosion structurelle manifeste, évidente et généralisée" du navire pétrolier.

"L'ÉCONOMIE AU DÉTRIMENT DE LA SÉCURITÉ"

A l'armateur et au gestionnaire de l'Erika, le procureur a reproché une "imprudence" et une "désinvolture sérieuse" dans l'entretien du bâtiment, qui les a notamment conduits à réduire "de trois à un" le montant des réparations nécessaires lors de l'arrêt de l'Erika sur le chantier de Bijela (Monténégro) à l'été 1998. "A chaque fois, on a choisi l'économie au détriment de la sécurité. Cette désinvolture, vous la sanctionnerez!", a-t-il lancé au tribunal.

La même légèreté a été reprochée à la société italienne de classification du navire, RINA qui, selon le ministère public, n'a pas su distinguer entre la mission de contrôle qui lui incombait et l'intérêt commercial de son client. "Il y a du ménage à faire dans ces sociétés. Les petits services au client, ça peut se rendre dans le petit commerce, mais pas lorsqu'on est une société de classification!", a observé le procureur.

Quant au capitaine indien Karun Mathur, qui ne s'est jamais présenté à l'audience, il a eu droit lui aussi, à sa volée de critiques. "C'est une saine réaction des marchés que d'avoir écarté le capitaine Mathur. Lorsqu'on se comporte comme lui, on ne mérite pas d'être commandant de navire", a dit M. Michel.
Mais, c'est évidemment sur la responsabilité pénale de Total que le ministère public était le plus attendu. Reprenant l'historique du "vetting", cette procédure de contrôle technique et d'évaluation des navires mise en place par les grands affréteurs après les premières catastrophes pétrolières, M. Michel a affirmé : "Le vetting, c'est fait pour conjurer un risque dont on a conscience".

A l'appui de sa démonstration, il a cité la longue liste des instructions au voyage de Total qui, selon lui, "exigeait une coordination avec le bord, donc un contrôle permanent". "On ne peut pas dire aux uns, ne me réglementez pas, parce que je suis responsable et dire ensuite aux autres, je suis irresponsable, donc je suis libre. La liberté absolue et irresponsable, dans notre monde, ça n'existe pas!", a observé le procureur, en pointant la "faculté contributive" de Total, "premier groupe industriel d'Europe continentale". "A tout seigneur, tout honneur", a conclu le procureur.

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