10 octobre, 2008

Le socialisme petit-bourgeois

L’aristocratie féodale n’est pas la seule classe qu’ait ruinée la bourgeoisie, et dont les conditions d’existence s’étiolent et dépérissent dans la société bourgeoise moderne. Les petits bourgeois et les petits paysans du Moyen Age étaient les précurseurs de la bourgeoisie moderne. Dans les pays où l’industrie et le commerce sont moins développés, cette classe continue à végéter à côté de la bourgeoisie florissante.

Dans les pays où s’épanouit la civilisation moderne, il s’est formé une nouvelle classe de petits bourgeois qui oscille entre le prolétariat et la bourgeoisie ; fraction complémentaire de la bourgeoisie, elle se reconstitue sans cesse ; mais, par suite de la concurrence, les individus qui la composent se trouvent sans cesse précipités dans le prolétariat, et, qui plus est, avec le développement progressif de la grande industrie, ils voient approcher l’heure où ils disparaîtront totalement en tant que fraction autonome de la société moderne et seront remplacés dans le commerce, la manufacture et l’agriculture par des contremaîtres et des domestiques.

Dans les pays comme la France, où les paysans forment bien plus de la moitié de la population, il est naturel que des écrivains qui prenaient fait et cause pour le prolétariat contre la bourgeoisie aient appliqué à leur critique du régime bourgeois des critères petits-bourgeois et paysans et qu’ils aient pris parti pour les ouvriers du point de vue de la petite bourgeoisie. Ainsi, se forma le socialisme petit-bourgeois. Sismondi est le chef de cette littérature, non seulement en France, mais aussi en Angleterre.

Ce socialisme analysa avec beaucoup de sagacité les contradictions inhérentes au régime de la production moderne. Il mit à nu les hypocrites apologies des économistes. Il démontra d’une façon irréfutable les effets meurtriers du machinisme et de la division du travail, la concentration des capitaux et de la propriété foncière, la surproduction, les crises, la fatale décadence des petits bourgeois et des paysans, la misère du prolétariat, l’anarchie dans la production, la criante disproportion dans la distribution des richesses, la guerre d’extermination industrielle des nations entre elles, la dissolution des vieilles mœurs, des vieilles relations familiales, des vieilles nationalités.

Dans sa partie positive, ce socialisme entend rétablir les anciens moyens de production et d’échange, et, avec eux, l’ancien régime de propriété et toute l’ancienne société, ou il entend faire entrer de force les moyens modernes de production et d’échange dans le cadre étroit de l’ancien régime de propriété qu'ils ont brisé, et fatalement brisé. Dans l’un et l’autre cas, ce socialisme est à la fois réactionnaire et utopique. Pour la manufacture, le régime corporatif ; pour l’agriculture, le régime patriarcal : voilà son dernier mot.

Au dernier terme de son évolution, cette école est tombée dans le lâche marasme des lendemains d’ivresse.

K. MARX, Manifeste du parti communiste

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