21 novembre, 2007

Petite lecture pour le week-end...

... bah oui c'est pas ma faute si on n'a qu'une quinzaine d'heures de cours en ce moment...

Déniché sur LE MONDE.fr (dans "Analyses")


Université : la grande défiance, par Luc Cédelle

Adoptée en août dans un relatif consensus, la loi Pécresse sur l'autonomie des universités suscite depuis la fin du mois d'octobre un vent de contestation qui n'a cessé de se renforcer.

Dans les assemblées générales, le message-clé, qui mobilise les étudiants est le suivant : cette loi organise la privatisation de l'université. Messages associés : son application mène à l'augmentation des droits d'inscription, à l'instauration de la sélection à l'entrée de l'université et à la suppression des filières non rentables.


Et pourtant, c'est faux : cette loi n'organise pas la privatisation de l'université. Elle n'augmente pas les frais d'inscription, n'institue pas de sélection à l'entrée de l'université, ne supprime aucune filière. Cela ne veut pas dire que personne ne tentera jamais de réaliser de tels projets. Ni qu'il n'existerait pas, dans cette loi, des dispositions permettant d'aller, à terme, dans ce sens. mais l'honnêteté oblige à dire que ce n'est pas dans la loi. Lors des discussions qui ont précédé son adoption, des engagements ont, au contraire, été pris pour écarter de tels projets, précisément en raison de leur caractère explosif.

Essentiellement technique (ce que récusent ses détracteurs), cette loi est destinée à donner plus de consistance au principe d'autonomie des universités, affirmé dès 1969 par la loi Faure, mais qui ne se traduisait qu'en matière pédagogique et scientifique et non dans la gestion financière. Le surcroît d'autonomie se manifeste par une "gouvernance rénovée", avec des conseils d'administration plus restreints et des présidents aux pouvoirs renforcés. Ainsi, le président pourra attribuer des primes aux personnels de l'établissement et recruter des agents contractuels. Chaque université disposera dans un délai de cinq ans d'un "budget global", géré par le conseil d'administration. Il ne sera donc plus nécessaire de faire remonter au ministère toute décision de gestion. La possibilité de recourir à des fonds privés pour financer des chaires ou des recherches, par biais de fondations d'entreprise mises en place au sein des universités, est élargie, mais cela ne veut pas dire que les entreprises vont pouvoir modifier les "maquettes" de formation. De manière optionnelle, les universités peuvent obtenir la gestion de leur patrimoine immobilier. Enfin, l'insertion professionnelle devient officiellement une de leurs missions.

Chacune de ces dispositions fait l'objet de la part des protestataires d'une interprétation violemment à charge. Ainsi, le renforcement du pouvoir du président et du CA est présenté comme un "absolutisme". Personne ne mentionne que d'éventuels excès pourraient être évités par l'instauration de règles internes comme la "charte démocratique" dont vient de se doter l'université Paris-12-Val-de-Marne : solution trop "raisonnable"... De même, le recours à des fonds privés est considéré comme venant nécessairement se substituer aux ressources budgétaires des établissements. La présence dans les conseils d'administration de personnalités extérieures, dont au moins un chef d'entreprise ou cadre dirigeant, est brandie - sans égard pour le fait que cela existe déjà - comme l'assurance que "le patronat" aura la haute main sur les programmes enseignés dans toute l'université.

Le fait que tout titulaire d'un baccalauréat pourra s'inscrire en licence, s'il s'est préinscrit au printemps précédent et que cette préinscription sera une condition pour bénéficier des conseils du service d'orientation de l'université est présenté dans les AG lycéennes comme la preuve d'une sélection masquée... puisque des propos dissuasifs pourraient être tenus au candidat en fonction de son profil scolaire et de ses notes.

Mais, qu'est-ce qu'une orientation dont les responsables seraient tenus de n'aborder que les points positifs ? Même l'affirmation de la mission d'insertion professionnelle de l'université et l'encouragement à développer des formations dites "professionnalisantes" sont présentés comme des abominations. "La professionnalisation est au contraire le plus court chemin vers la déqualification et la précarité", assène le texte adopté par la "coordination nationale" qui s'est tenue les 17 et 18 novembre à Tours.

LA SURENCHÈRE ANTI-MÉDIAS

A entendre les initiateurs du mouvement étudiant, tout ce qui n'est pas dans la loi y serait quand même. Cachée lors des concertations préalables, enfouie derrière le texte de la loi, la volonté de privatisation de l'université relève pour eux d'une évidence que les médias, à commencer par les spécialistes des questions universitaires, auraient soigneusement dissimulée avant qu'ils ne fassent éclater la vérité. Ce scénario implique que tout discours modéré tenu sur cette loi procède d'une complicité politique avec le gouvernement, les intérêts privés, bref, "les pouvoirs". C'est pourquoi, pour protéger son postulat de départ - une loi "qui signifie la privatisation de l'enseignement supérieur" -, le mouvement est condamné à la surenchère anti-médias qui, d'avance, fournira la seule explication à son échec possible.

Ce postulat n'est pas tombé du ciel. Il a été méthodiquement propagé par certains groupes présents en milieu universitaire et dont le point commun est de s'inscrire dans la mouvance de l'ultra-gauche. D'où la polémique sur la "poignée d'agitateurs" qui auraient artificiellement bâti un mouvement, en recourant à son savoir-faire éprouvé. Polémique biaisée, car cette éternelle théorie du complot a sa part de vérité, mais ne répond pas à la question principale : pourquoi les étudiants se sont-ils laissé faire ? Pourquoi est-on passé en quelques jours, comme sur le site parisien de Tolbiac, de vingt-cinq "gauchistes" estampillés à un amphi bondé ? Et pourquoi le même processus s'est-il reproduit dans toute la France, qui, même étudiante, n'est pas d'extrême gauche ?

La question est large : elle s'adresse aux partis politiques "de gouvernement", inaudibles sur ce sujet, aux médias, bien sûr, dont la crédibilité est à rétablir, mais aussi au monde de l'entreprise, qui devrait quand même se demander pourquoi il prend si facilement des allures de loup-garou. Elle s'adresse aussi à l'UNEF qui, après avoir donné son aval à la loi, la rejette aujourd'hui au point de sembler cautionner le mot d'ordre d'abrogation. Cette question s'adresse à quiconque ne peut se satisfaire qu'il y ait deux jeunesses, dont l'une minée par la précarité étouffe d'angoisse. Elle s'adresse enfin au gouvernement lui-même qui, en promettant 5 milliards sur cinq ans à l'enseignement supérieur mais en omettant de porter l'effort dès cette année sur la réussite en premier cycle a suscité des attentes qu'il déçoit.

Luc Cédelle

1 commentaire:

Morgane a dit…

Nouveau design, nouvelles idées... Que du changement!