25 novembre, 2007

Les chercheurs du public se bousculent au Medef




Volé dans LeMonde.fr:


Lundi 26 novembre, dès 9 heures du matin, des centaines de chercheurs joueront des coudes pour pénétrer 55, avenue Bosquet, au siège du Medef. Les dirigeants de l'organisation patronale sont inquiets... Comment feront-ils pour accueillir les 730 inscrits à la journée "Pourquoi se priver des docteurs : 1er Forum Ecoles doctorales - Entreprises" qu'ils organisent avec l'association Bernard Grégory, alors qu'on en attendait à peine 300 ?

En pleine contestation étudiante, le phénomène est réjouissant. Il montre que le fossé qui sépare, depuis des lustres, le monde de la recherche publique de celui de l'entreprise se comble, du fait des étudiants et chercheurs eux-mêmes. Les docteurs ont cessé de considérer que, en dehors de la recherche publique, il n'y avait point de salut. Confrontés à un taux de chômage de 11 % avec une pointe à 13 % pour les chimistes et les biologistes, selon les chiffres du ministère de l'éducation nationale pour 2006, ils poussent la porte des entreprises pour y trouver un emploi.

En revanche, ces dernières demeurent méfiantes. Les préjugés de ses dirigeants à l'encontre de chercheurs du secteur public ont la vie dure. La plupart continuent de voir en eux des professeurs Nimbus ou de doux rêveurs. Ils leur préfèrent les diplômés de grandes écoles d'ingénieurs ou de commerce. Pire : un ingénieur qui poursuit son cursus par une thèse vaut moins sur le marché du travail que celui qui se fait embaucher dès sa sortie de l'école, disent les intéressés !

"APTITUDES SINGULIÈRES"
Conséquence : alors que les décideurs du monde entier mettent l'innovation en tête de leur priorité, et redoutent de manquer de " talents" pour conduire leur stratégie, alors qu'au niveau international, le diplôme de référence est le PhD, c'est-à-dire le doctorat, les 10 000 thésards français formés chaque année, ayant donc fait au minimum huit ans d'études après le bac, peinent à trouver un emploi dans le privé. Seulement 35 % sont embauchés dans une entreprise après leur thèse. Dans les services de recherche des grandes entreprises françaises, plus de la moitié des chercheurs sont des ingénieurs recrutés dès la sortie de l'école. Les docteurs ne représentent globalement que 16 % des effectifs, les autres postes étant tenus par des universitaires titulaires d'un mastère ou des techniciens supérieurs.

La participation à la rencontre du Medef est symptomatique. Une petite quarantaine de représentants d'entreprises seulement y sont inscrits. Les organisateurs s'attendaient à la situation inverse ! Car au sommet du Medef, on est convaincu de l'atout que présentent les docteurs pour l'économie française : "C'est une grande déperdition de savoir", déplore Véronique Morali, présidente de la commission Dialogue économique du Medef, et de Fimalac développement.

Pourtant, "les écoles doctorales ont évolué. Elles s'occupent plus sérieusement de la sélection, du suivi et de la formation complémentaire des thésards. Mais du côté des entreprises, ça bouge beaucoup plus lentement", confirme Jean-Claude Lehmann, ancien directeur de la recherche de Saint-Gobain et président du groupe de travail Futuris sur "l'emploi des docteurs".

La difficulté à se repérer dans le maquis des écoles doctorales, souligné dans le rapport Futuris publié en juin 2005, perdure et explique cette méfiance. Alors que les directeurs de ressources humaines connaissent bien la hiérarchie des écoles d'ingénieurs, la spécificité de chacune d'entre elles, ils n'ont aucun outil pour les aider à distinguer le bon grain de l'ivraie quand il s'agit d'écoles doctorales. "Il faudrait les labéliser", suggère Stéphane Demarquette, directeur international des ressources humaines pour la recherche avancée et fondamentale de L'Oréal.

D'autant que les candidats docteurs ne facilitent bien souvent pas la tâche des recruteurs. "Lorsqu'un doctorant se présente à un employeur, il ne doit pas passer, comme souvent, une demi-heure à raconter ce qu'il a fait pendant sa thèse sans avoir l'idée de poser une seule question sur le métier proposé ou le poste à pourvoir", prévient M. Lehmann.

D'un autre côté, cette passion qui caractérise les chercheurs doit aussi être considérée comme un atout. " Les chercheurs sont des personnes qui ont un fort engagement personnel. L'entreprise a besoin de ces gens passionnés à condition que leur engagement soit en phase avec l'entreprise", estime M. Demarquette.

L'Oréal recrute régulièrement de jeunes docteurs. "Parce que la thèse est une expérience professionnelle et que la recherche développe des aptitudes singulières au-delà de la discipline", poursuit-il. "Le docteur se situe dans un réseau international, il sait se remettre en question, mais aussi être tenace et avoir le courage de ses idées ; il est créatif, l'inconnu ne lui fait pas peur, et il sait rebondir après un échec", ajoute Martine Pretceille, professeur des universités et directrice de l'Association Bernard Grégory (ABG), qui se voue depuis vingt-cinq ans à la promotion du doctorat dans le monde économique. Chez L'Oréal, ces qualités sont suffisantes pour recruter un docteur, même si sa spécialité ne correspond pas du tout à celle de l'entreprise. Un astrophysicien a ainsi été récemment pressenti pour un poste à la suite d'une candidature spontanée : les télescopes qu'il utilisait pour scruter l'infiniment loin n'ont certes rien à voir avec les microscopes employés pour examiner les conséquences d'une crème sur un fragment de peau, mais " sa capacité à modéliser et la personne elle-même étaient plus importantes que sa spécialité", raconte M. Demarquette.

Pour vaincre les réticences, le Medef et l'ABG vont créer " un groupe de pilotage" réunissant des DRH et des directeurs d'écoles doctorales. Ils vont aussi organiser d'autres forums, en province, en 2008. A Lille, pour commencer.

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